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GENETIQUE ET ANOMALIES DES MEMBRES - Exposé du Dr LEMERRER(¹)

La génétique a fait ces dernières années beaucoup de progrès mais pour autant la plupart des anomalies des membres ont une origine encore mystérieuse. Pourtant, les connaissances dans l’embryologie progressent très vite et l’étude des rongeurs a permis de mettre en évidence des facteurs génétiques qui ont un rôle essentiel dans la fabrication des membres. Même si les informations sont encore insuffisantes, les espoirs sont grands.

Embryologie et génétique

La compréhension des mécanismes de l’embryologie n’en est qu’à son début, mais les connaissances en génétique nous montrent qu’un individu n’est formé qu’à partir de l’information donnée par le code génétique, qui conduit à la fabrication de protéines qui s’agencent être elles pour donner des cellules, puis des tissus et l’individu tout entier. Une erreur dans le message peut être responsable d’une anomalie morphologique.

Cet arrangement peut être soumis à des fautes, en particulier au niveau de l’A D N, modifié ou crée par des évènements : prise de médicaments, virus, perte du liquide amniotique… Le développement de l’individu tel qu’il aurait dû être initialement est alors perturbé.

Pour la génétique, il y a plusieurs niveaux. Le premier est celui de la génétique formelle,celle qui obéit aux lois de Mendel. Depuis longtemps on sait qu’il y a des pathologies qui se transmettent de génération en génération, ce sont des maladies dominantes. D’autres apparaissent chez plusieurs enfants d’une même génération, ce sont des maladies récessives. Un autre groupe atteint les garçons et sont transmises par les femmes, ce sont les maladies liées au chromosome X, liées au sexe.

Toutes ces données formelles, bien définies, ont des applications car un certain nombre de pathologies malformatives ont une origine génétique et on peut utiliser les lois de Mendel pour estimer le risque pour un autre enfant ou pour un enfant de la personne atteinte. C’est ce que l’on fait lorsqu’on donne un conseil génétique.

Cette génétique formelle était globale, abstraite. On observait les arbres généalogiques, les pathologies et on essayait de comprendre. Maintenant on dispose de techniques complémentaires : l’observation du caryotype et celle du gène.

Devant les anomalies des membres, le premier rôle du médecin généticien est d’observer. Il y en a plusieurs types :

  • Les amputations (à l’emporte-pièce) ou défauts transverses terminaux
  • Les anomalies longitudinales, c’est-à-dire l’absence d’os longs (humérus ou fémur)
  • Les polydactylies : duplication du pouce ou du petit doigt
  • Les syndactylies : doigts collés. Il y a certain nombre de syndactylies pour lesquelles les gènes ont été identifiés
  • Les arthrogryposes : membres fléchis qu’il est difficile ou impossible de libérer

L’identification du type de l’anomalie est très importante pour le généticien. Si on n’est pas très attentif et qu’on mélange ou on se trompe de pathologies, cela a des conséquences pour le conseil génétique et pour les études moléculaires, la probabilité de trouver est alors extrêmement faible.

Pendant des années en génétique l’objectif était de recenser les cas pour avoir une idée de la fréquence de la maladie ou de l’affection. Les anomalies des membres ont une fréquence d’à peu près 1 pour 1000, ce qui est élevé. En règle générale la fréquence des maladies génétiques est de 1 pour 10.000 ou 1 pour 15.000 ; celle des malformations communes isolées, comme la fente labiale, est de 1 pour 1000.

Pour essayer de comprendre ce qui se passe sur le plan génétique il faut recueillir un certain nombre de données familiales (grossesse, événements pendant la grossesse, prise de médicaments) au cours d’un entretien ou par questionnaire. A partir de là, on va comparer les données observées avec ce que l’on attendrait suivant un certain nombre de modèles génétiques.

Si les cas observés sont strictement isolés, sans autre cas familiaux, on a tendance à penser qu’il s’agit d’un accident. Dans le cas contraire, on essaie de voir de quel modèle on peut approcher. On va utiliser ces informations empiriques dans le conseil génétique pour dire s’il y a un risque pour un autre enfant ou pour un enfant d’une personne atteinte.

En dehors de la génétique formelle, épidémiologique, on a des moyens d’étudier le matériel génétique. Le premier est le caryotype. C’est l’analyse des chromosomes. Vous savez que l’on en a 46 répartis en 23 paires. Dans chaque paire, un chromosome vient du père, l’autre de la mère. Dans les ovules ou les spermatozoïdes, il n’y a qu’un seul chromosome de chaque paire.

Pour visualiser ces chromosomes, qui constituent le matériel héréditaire, on prend une cellule du sang, on éclate le noyau, on classe les chromosomes, qui sont en vrac, par paires. On regarde alors s’il y en a en plus (trisomie 21) en moins, si l’un est cassé etc…

Dans les anomalies des extrémités des membres strictement isolées, il n’y a jamais d’anomalies des chromosomes. Ces malformations, lorsqu’elles ont un caractère familial, sont liées à des mutations de gènes qui ne sont pas détectables sur un caryotype. Sur un chromosome il y a 3000 gènes, faire un caryotype pour une malformation de membre, strictement isolée, n’a pas de sens car on ne verra pas les gènes.

Abordons maintenant les maladies qui obéissent aux lois de Mendel.

Maladies dominantes

Quand on est porteur de l’affection on a un risque sur deux de donner le bon gène ou de donner le mauvais.

 

 

Extrait d’arbre généalogique

Femme Homme

Ici la femme malade a eux deux enfants (avec deux hommes différents).

  • l’un est sain et sa descendance aussi
  • l’autre est malade et dans sa descendance il y a un risque sur deux de transmettre la maladie.

C’est le mode de transmission le plus fréquent des maladies génétiques et il y en a beaucoup : nanisme, œil plus petit etc..

 

 

 

Nous avons vu que les chromosomes allaient par paire ; dans chacune l’un vient du père, l’autre de la mère, le même gène se trouve donc en double exemplaire.

Si on a deux copies bonnes du gène, il y a pas de problème. Si on a une copie bonne et une copie mutée alors deux cas sont possibles.

  • Le gène muté est moins fort que le bon gène, l’individu est normal car le bon gène contrebalance l’effet du mauvais. Le gène était récessif.
  • Le gène muté est plus fort et la maladie s’exprime c’est le cas des maladies dominantes.

 

 

A partir des ovules ou des spermatozoïdes, on donne deux sortes de gamètes l’un muté A, l’autre sain a. En les combinant avec ceux d’une personne saine, on a un risque sur deux de voir apparaître le mauvais gène et donc la maladie.

Dans les maladies dominantes, parfois, on ne retrouve rien %%%%
malades sains dans la famille, cela veut dire que la mutation est apparue brutalement au niveau d’un des ovules ou d’un des spermatozoïdes. Le bébé est porteur de la maladie qu’il peut transmettre à ses enfants mais il n’y a pas de risque pour la fratrie.

 

 

Quand on dit qu’une pathologie malformative est accidentelle, cela peut venir :

  • d’un accident extérieur (évènements, médicaments…). Il s’agit d’une anomalie tératogène. Il y a eu un empêchement au développement normal d’un organe.
  • d’un accident génétique, c'est-à-dire l’apparition brutale d’une mutation.

La plupart des maladies génétiques dominantes apparaissent par mutation. Ce sont des évènements extrêmement fréquents. Quand les chromosomes, le matériel héréditaire, le code génétique, se dupliquent, il y des erreurs. Quand elles se trouvent à des endroits ou sur des gènes peu importants ou quand elles sont contrebalancées par des bons gènes, elles ne s’exprimeront pas. Cela veut dire que nous sommes tous porteurs de gènes mutés. La maladie n’apparaît que lorsque la mutation touche des gènes ou des endroits primordiaux pour le développement de tel ou tel organe ou le maintien de telle ou telle fonction. La mutation est un phénomène normal. S’il n’y en avait pas nous serions tous semblables. Or c’est une joie d’être tous différents.

Dans certains arbres généalogiques, il peut y avoir un saut de génération. Cela existe dans les pathologies qui donnent des pieds et des mains fendues (ectrodactylie). Les doigts externes et internes sont présents, les segments médians, absents. Apparaissant par mutation récente, cette pathologie se transmet avec un risque de 1 sur 2 et une expression très variable.

En pratique quand on voit une anomalie des extrémités on commence par penser au mode de transmission dominante autosomique, a fortiori si la main est fendue.

Pendant longtemps on a été optimiste sur la transmission des anomalies des membres, maintenant on est plus prudent car beaucoup sont apparues brutalement dans une famille et se transmettent ensuite en dominance.

Maladies récessives autosomiques

 

 

Ici le bon gène contrebalance le mauvais donc la maladie n’apparaît que si le mauvais gène est présent deux fois.

Si le père et la mère transmettent leur bon gène l’enfant sera normal. S’ils transmettent, l’un un bon, l’autre un mauvais, l’enfant sera normal. S’ils transmettent tous les deux leur mauvais gène, l’enfant sera malade. Le risque est donc de 1 sur 4 et atteint aussi bien les garçons que les filles.

La consanguinité favorise la maladie ou la malformation.

Le conseil génétique est donc sous tendu par le diagnostic qui n’est pas toujours facile à faire. Certaines polydactylies peuvent avoir une transmission dominante, d’autre une transmission récessive, confondre les deux est grave car le risque pour la descendance n’est pas du tout le même.

 

 

 

Maladies liées au sexe

Il n’y a pas (sauf la polydactylie exceptionnellement) d’anomalies des extrémités dont la transmission est liée au sexe mais c’est le cas de la myopathie, de l’hémophilie. Le gène est porté par le X chromosomique. Ce sont les femmes qui transmettent la maladie car elles transmettent le X à leurs garçons. Par contre les garçons qui n’ont qu’un seul X (rien de particulier sur le Y venu du père) sont malades car ils n’ont pas un autre X comme les femmes, pour contrebalancer le mauvais.

Biologie moléculaire

Pour les anomalies des membres (essentiellement les mains (²)) il n’y a que deux gènes qui ont été identifiés de façon formelle.

On est arrivé à ce résultat en étudiant les rongeurs. Le généticien a besoin de grandes familles hors chez l’homme elles sont de plus en plus réduites et on ne peut pas faire d’expérimentation. Il a donc utilisé les souris qui ont beaucoup de souriceaux et se manipulent très bien.

En observant un embryon de souris, on voit d’abord un amas de cellules puis se forme une sorte de haricot. On voit apparaître ensuite un bourrelet, ce sont les embryons de membres. En transplantant un morceau interne à l’extérieur, un pouce est apparu sur le bord externe au lieu d’apparaître sur le bord interne. C’est ainsi que peu à peu on a compris comment se forment les membres, l’humérus est le premier créé, ensuite l’avant bras, puis la main.

Pour comprendre quels gènes sont impliqués dans toutes ces étapes, on a eu recours à la drosophyle et à la souris. On a découvert que la mutation d’un certain nombre de gènes connus, certains facteurs de croissance, entraînait des anomalies des membres. Le plus curieux est que ces gènes s’expriment dans tout le corps : cerveau, rein, intestin… sans entraîner d’anomalies à ce niveau là. C’est un mystère qui reste à éclaircir.

On a mis en évidence des facteurs de croissance, des gènes architectes ( les mêmes chez la mouche et chez l’homme). On a avancé dans la compréhension du phénomène mais peu dans l’identification des mutations. Actuellement deux gènes architectes (appelés homéobox) ont été localisés, leur mutation entraîne des anomalies des mains strictement isolées.

En plus de l’embryologie, on a eu recours aux études de liaison en réunissant des familles dans lesquelles plusieurs enfants sont atteints.

Par exemple : l’achondroplasie (petite taille) : on disposait d’une quinzaine de familles, on a étudié le sang de tous les individus sains et malades en regardant comment les marqueurs génétiques (dont on savait la localisation sur les chromosomes et s’ils venaient du père ou de la mère) étaient transmis. Si le marqueur, ici sur le chromosome 4, se transmet en même temps que la maladie, on sait qu’il y a un gène dans cette région qui a un rôle dans la maladie et on l’étudie de plus près.

C’est comme cela qu’on a pu mettre en évidence un gène responsable de la syndactylie complète des doigts et en même temps de cranosténose (malformation du crâne, syndrome d’Apert).

Ainsi en utilisant l’embryologie, la biologie, le calcul etc… on essaie de comprendre. Il y a encore beaucoup de travail mais beaucoup de progrès sont attendus dans un proche avenir.

La génétique n’a pas d’application immédiate sauf dans l’éventuel diagnostic anténatal. Les anomalies des membres apparaissent très tôt (1mois de vie) et on ne peut changer les choses. Par contre pour des maladies évolutives comme les dégénérescences on pourra trouver des traitements.

Dans tous les cas il est utile de recourir à un généticien pour comprendre. C’est très important pour l’acceptation du problème. Lorsque je vois des consultants et que je leur dis qu’il y a un risque sur deux pour leur enfant, je leur apporte un certain soulagement car c’est moins angoissant de savoir que de ne pas savoir.

Maintenant on arrive à repérer les anomalies des membres assez tôt pendant la grossesse. C’est au couple ensuite de prendre ses décisions en fonction du type d’anomalies, de ses convictions personnelles, de son choix et d’être aidé dans ce sens là. L’enfant n’est pas accueilli dans les mêmes conditions si l’information a eu lieu au cours de la grossesse ou si le handicap est découvert à la naissance.

L’échographie est un outil très utile même si cela soulève un problème éthique. Parfois les malformations des membres ne sont pas décelées à l’échographie. On ne voit une malformation que si on la recherche, le plus souvent l’échographiste ne regarde pas les extrémités mais le crâne, les organes. Certains n’ont pas la technicité voulue ou ne veulent pas se trouver dans une situation qu’ils ne savent pas gérer…

Après avoir eu un conseil génétique, dans la mesure où vous êtes concernés par une pathologie, vous pouvez demander une recherche de cette pathologie au cours de l’échographie.

QUESTIONS

1) Hérédité au niveau de l’amputation congénitale ?

Il s’agit d’amputations à l’emporte-pièce (et non des défauts intercalaires transverses absence d’humérus phocomélie) pour lesquelles il y a plusieurs hypothèses :

Les brides amniotiques
Des brides se forment dans la membrane qui enveloppe le bébé et peuvent ligoter un membre. Cela provoque des problèmes vasculaires, le reste du membre meurt et disparaît. C’est un accident mais pas aussi fréquent qu’on a bien voulu le dire. Il est sans incidence sur la descendance.

L’Aglossie adactylie
Petite anormalité au niveau de la bouche et absence de doigt ou de membre. C’est accidentel et lié à des problèmes vasculaires (un vaisseau s’oblitère et le reste du membre meurt comme dans le 1er cas). Cela se passe dans le 1er ou 2ème mois de la grossesse lorsqu’il y a une agression sévère. On peut en déceler des séquelles en examinant le placenta. Il n’y a pas de risque pour l’enfant et la fratrie.

L’amputation associée ou non à une aplasie du scalp
C’est quelquefois une toute petite cicatrice au niveau du crâne qui peut être isolée ou associée. C’est une pathologie dominante dont l’expressivité est variable. Le risque théorique est de 1 sur 2 pour une personne atteinte mais l’affection peut être très modérée.

Les autres amputations dont on ne peut rien dire sauf un cas d’amputation associée des membres inférieurs au Brésil qui est récessive autosomique.

Pour les anomalies des extrémités, c’est une affaire de cas personnels. Il faut examiner chaque individu correctement, faire une enquête familiale attentive avant de pouvoir donner un conseil génétique.

2) Existe-il un logiciel, un support enregistré de ces explications ?

Toutes les informations existent sur Internet mais elles sont très médicales. Plusieurs associations ont réalisé des petits livrets sur ces questions. Sous l’impulsion de l’A F M (Association Française contre les Myopathies) un centre « Allo gènes » s’est créé pour les patients et les médecins. Tout cela ne remplacera jamais le contact direct avec un généticien et la discussion.

2bis) Quand on attend un bébé comment être préparée ?

C’est le rôle de la société. Il y a 10 000 maladies génétiques. Quand on fait un bébé, il y a un risque de 2 à 3% qu’il ait n’importe quoi. Il suffit de savoir cela. Trop d’informations génèrent de l’angoisse et de multiples examens sont dangereux. Sauf en cas d’indication, il faut éviter cela.

3) Où en est la recherche pour le syndrome TAR ?

Le gène n’est pas encore localisé car il faut beaucoup de familles, beaucoup d’enfants pour mener à bien les recherches et c’est une maladie rare. Cela avance tout de même.