[Infos > Dossiers > Brides amniotiques]

EXPOSE DU DOCTEUR BIDAT

Chef du Service gynécologie obstétrique de l’Hôpital de Saint-Germain-en-Laye sur les « BRIDES AMNIOTIQUES »

« Je travaille au Centre de Diagnostic anténatal de Poissy Saint-Germain. Mon métier est de faire des diagnostics anténataux et de prendre en charge les bébés qui peuvent présenter des problèmes.

Le problème des anomalies amniotiques est très complexe. Dans la littérature, nous avons onze noms pour définir la même chose. Il s’agit d’une maladie relativement complexe et qui relève probablement de plusieurs origines.

On dit qu’il y a une maladie amniotique lorsqu’il y a des anomalies qui touchent les membres, la paroi, le crâne, et lorsque ces anomalies sont associées à une membrane qui lie, soit le fœtus au fœtus, soit le fœtus à la paroi, soit une membrane qui flotte librement dans le liquide amniotique.

D’emblée, c’est quelque chose qui est acquis ; ce n’est pas quelque chose dont on hérite. C’est une maladie acquise au cours des neuf mois embryonnaires. D’après les livres, la fréquence dans la population est de 1/2000, 1/15000, mais comme c’est une maladie très peu reconnue, car très souvent le diagnostic n’est pas fait, elle est sous-estimée et certainement supérieure.

Les symptômes que l’on rencontre en anténatal et jusqu’après la naissance sont très variables. Ça peut être des anomalies des membres, des anomalies du crâne (un bébé qui n’a pas de voûte crânienne) et chaque fois, c’est associé à une anomalie du placenta. On peut rencontrer, soit des amputations, soit des sillons qui sont liés aux brides. Cela peut donner aussi des malpositions des membres avec des pieds bots, des anomalies complexes, des adhérences.

Les membres ne sont pas les seuls atteints. On peut avoir également des malformations de la face, de la paroi abdominale (qui n’est pas fermée).

Ces trois types d’anomalies sont associés chaque fois à des membranes qu’on voit au niveau du placenta. D’où l’importance d’analyser le placenta, ce qui se fait très rarement. On n’y pense pas au moment de la naissance et le diagnostic n’est pas fait, ou difficile à faire rétrospectivement avec certitude.

Lorsqu’on a une de ces lésions à l’échographie, associées à des brides, est-on capable de voir les membranes ? Ce n’est pas sûr, la réponse n’est pas claire. Il nous arrive parfois d’avoir beaucoup de chance et de voir une striction au niveau du membre mais ce n’est pas toujours.

Lorsqu’on a une suspicion de maladie amniotique, on peut confirmer le diagnostic et éventuellement proposer un traitement, en faisant ce qu’on appelle une célioscopie, c’est-à-dire qu’on entre un optique à l’intérieur de la cavité. On arrive alors à voir une bride amniotique (un petit truc blanc qui flotte). Ce n’est pas très facile à définir et le diagnostic est très difficile à établir.

Les maladies des brides amniotiques posent un certain nombre de problèmes : Pourquoi l’atteinte des membres au niveau transversal ? Pourquoi ces brides sont inextensibles et entraînent une striction des membres ? On ne sait pas.

Trois théories sont avancées pour essayer d’expliquer les brides amniotiques – ce qui prouve qu’aucune n’est bonne…

  • Première théorie : On pense qu’il y a une anomalie vasculaire au moment où l’embryon se forme, anomalie qui entraîne une nécrose des tissus et une adhérence.
  • Deuxième théorie : On pense que c’est lié à une rupture précoce de la poche qui entoure le bébé, qui s’appelle l’amniose. Cela provoquerait une adhérence entre le bébé et la paroi. C’est une des théories les plus anciennes.
  • Troisième théorie : L’embryologie se fait mal, suivant des séquences très compliquées impossibles à expliquer. L’embryon, malformé, donnerait ces malformations.

Dans la pratique, ces trois théories se mélangent et se complètent. On ne sait pas trop, mais on arrive rarement à expliquer une anomalie avec une seule théorie. Il est probable qu’il y a une composante rupture, une composante adhérence, et une composante sur ce qu’on appelle « un cordon court », c’est-à-dire que le cordon qui relie le bébé au placenta est très court, ce qui entraîne une tension.

Nous avons donc trois théories, avec trois origines et qui se mélangent. Suivant la maladie, on a un peu plus de cordon court, un peu plus d’adhérence, ou un peu plus de nécrose. Il s’agit donc d’une maladie complexe.

Il y a un certain nombre de facteurs favorisants :

  • chirurgie au cours de la grossesse,
  • des grossesses qui surviennent sur un stérilet, le stérilet pouvant agir par l’intermédiaire d’une rupture,
  • des amniosynthèses : dès que l’on met une aiguille dans un utérus, on peut entraîner des adhérences. Les amniosynthèses ont des effets secondaires, parmi lesquels il peut y avoir une maladie des brides amniotiques sur un bébé qui, initialement, était normal.
  • l’exposition à la cocaïne peut être une des causes. Cela a été prouvé chez des toxicomanes,
  • des maladies congénitales,
  • les grossesses gemmellaires.

Chaque fois qu’on voit une membrane dans un œuf, ce n’est pas forcément une maladie des brides amniotiques. Il peut y avoir des adhérences dans l’utérus, des anomalies du placenta… Le diagnostic est très difficile et rarement fait en anténatal. Cependant, le caractère épais de la membrane est très rassurant, tandis que devant une membrane fine, on peut se poser des questions et chercher.

Que faut-il retenir ?

  • C’est une maladie acquise, et non pas une maladie congénitale.
  • C’est quelque chose qui survient très précocement, au moment du développement embryologique. Déjà au premier trimestre, tout est joué, tout est terminé.
  • Cette maladie peut prendre des aspects complètement différents, ne correspondant à rien de logique au point de vue embryologie.
  • On ne sait pas trop d’où ça vient. On a des idées…
  • La fréquence est probablement mal évaluée, parce que c’est une maladie sous-estimée, dont on ne sait pas faire le diagnostic.
  • Ça peut être un petit rien du tout (par exemple une amputation d’une dernière phalange, avec laquelle on peut très bien vivre).Ça peut être gravissime, comme des malformations du cerveau, qui sont incompatibles avec la vie. On peut même en mourir pendant la grossesse.

Alors, que faire ?

A chaque fois que l’on voit une image de membrane, il ne faut ni s’affoler, ni paniquer. Il y a très très peu de risques que ce soit une maladie des brides amniotiques.

Mais si l’on pense que c’en est une, il faut absolument aller voir un échographiste de référence, c’est-à-dire un échographiste qui travaille comme nous dans des Centres où l’on voit beaucoup de bébés qui ont des malformations, et qui ont donc une certaine habitude et expérience. Lors de la deuxième échographie, le pronostic sera en fonction de l’importance des anomalies. Si on ne trouve aucune membrane et qu’on ne trouve pas d’anomalie au bébé, on peut être rassuré, parce qu’on sait que l’anomalie du bébé se crée en même temps que la membrane. Donc, s’il y a une membrane au départ et pas d’anomalie, on peut être tranquille jusqu’à la fin de la grossesse. L’atteinte fœtale peut évoluer mais s’il n’y en a pas au début, il n’y en aura jamais. Il n’y a pas de récidive.

La chirurgie in utéro : Seulement deux cas mondiaux rapportés. Donc, la chirurgie ne fait pas partie de la pratique courante.

Nous avons fait une foetoscopie dans le but de faire un traitement in utéro, qui n’a pas été possible. On avait vu qu’il y avait une bride, on a vu « une chose floconneuse » qu’on n’est pas arrivé à détruire.

Il y a eu aussi des descriptions de résolution spontanée, c’est-à-dire qu’on a vu la striction (on n’a pas vu la bride car on la voit très difficilement) et elle disparaît. A l’inverse, on a vu, à Grenoble, la striction et l’extrémité du membre disparaître ; le bébé a perdu un pied, qu’on avait vu au départ.

Au sujet des échographies, il y a un quiproquo :

Ne pas confondre dépistage et diagnostic. Les images d’échographie sont des images de diagnostic.

On vient faire faire une échographie, mais sans dire ce qu’il faut chercher. L’échographiste serait grandement aidée si on lui précisait la ou les parties sur lesquelles attirer son attention.

Un deuxième quiproquo :

  • L’échographie : présentation à la famille,
  • L’échographie : assurance tous risques (ce qu’elle n’est pas)

Une discussion a prolongé quelque peu cet exposé, que chacun a écouté avec beaucoup d’attention.

QUESTION

Dans le cas de la disparition d’un pied, par exemple, que devient-il ?

- Réponse du Dr BIDAT : À la fin, on retrouve des reliquats, collés aux membranes ou au placenta, à condition toutefois de les chercher. Mais au moment de la naissance d’un bébé amputé d’un pied, il n’est pas courant, pour l’instant, de se précipiter sur le placenta pour demander de vérifier très précisément les signes d’une maladie des brides amniotiques. Cette demande n’est pas systématique. Ça le devient, progressivement. La première réaction quand on voit qu’il manque quelque chose, ce n’est pas de chercher à savoir pourquoi c’est arrivée, c’est de s’occuper du bébé. C’est secondairement qu’on se pose le problème, et à ce moment-là, il est trop tard, on n’a plus le placenta.

Si les anomalies du cerveau et de la paroi abdominale ne posent pas trop de problèmes au niveau du diagnostic anténatal, il n’en est pas de même pour les anomalies des membres, pour lesquelles l’échographie est relativement peu performante.

- M. nouveau venu à notre Association et à cette Assemblée générale, accompagné de son épouse et de leur petit Emilien nous fait part de son expérience :
« Pour parler effectivement de « l’évolutivité » de la maladie des brides amniotiques, j’ai un petit garçon de 7mois, touché aux deux mains et à un pied. Or, à l’échographie morphologique du 5ème mois, seulement la main gauche a été détectée, pas la main droite, ni le pied. Ils étaient tous les deux complètement normaux au 5ème mois. Effectivement, il a failli être amputé d’un doigt, et le pied s’est retrouvé complètement en poche. Et ça n’avait pas été détecté. La seule chose qui avait été détectée est la différence de taille entre une main ouverte et l’autre qui était complètement recroquevillée sur elle-même. Seulement, à cinq mois, la main fait 1cm à 1cm1/2 de large, d’où la difficulté de l’échographie, d’autant plus compliquée en 3D. On n’arrivait pas à compter toutes les phalanges. Nous avons eu la chance de tomber sur un échographiste très pointilleux qui s’est arrêté sur la main, pressentant un problème. Il aurait très bien pu passer à côté.

- S. : Peut-on faire quelque chose après la naissance pour un membre qui a la marque de la bride, une striction ?

- Dr BIDAT : Oui, après la naissance, il y a la chirurgie. Le problème c’est qu’il y a des lésions, notamment du système lymphatique, qui sont irréversibles.

- Lorsque l’enfant naît avec des stries sur la peau, est-ce une preuve que ce soit dû à la maladie des brides amniotiques ?

- Dr BIDAT : Oui, c’est une preuve. Par exemple, un bébé qui a un fil au bout du doigt. Parfois, il reste une sorte de cicatrice.

- F. : Le fait que la main s’arrête : il n’y a pas de doigts, seulement une amorce de doigts, c’est autre chose ?

- Dr BIDAT : Oui, c’est autre chose, ce n’est pas une amputation. Rétrospectivement, on peut faire un diagnostic.

- F. : Psychologiquement, ça doit être dur pour la maman de savoir pendant la grossesse qu’il y a un problème. Comment ça se passe ?

- Dr BIDAT : Annoncer la nouvelle, pas seulement pour les brides amniotiques, avant la naissance, entre dans nos activités. Il y a une prise en charge globale du couple. Généralement, il y a un soutien psychologique. Nous avons des psychiatres spécialisés et si on parle de membres, on les envoie voir les orthopédistes.
Par exemple, pour les amputations de membres, on travaille beaucoup avec le Docteur Didier PILLARD, que les patients voient avant la naissance. Ainsi, je pense que l’accueil se fait quand même dans de meilleures conditions.

- M. : Je pense que nous avons eu beaucoup de chance de l’avoir su avant la naissance.

- F. : Moi, je préfère ne pas l’avoir su.

- M. : A posteriori, on dit que c’est une chance parce que ça nous a permis d’entrer en contact avec des personnes qui savaient ce que c’était, et savaient ce que ça pouvait donner. On a eu l’occasion d’avoir un entretien avec un professeur chirurgien orthopédiste qui nous a dit ne pas vouloir voir les échographies car, « tant que le bébé n’est pas né, je ne peux rien dire ». Par contre, une fois qu’il sera né, on pourra faire ceci, ça pourra donner cela. Il nous a expliqué et ça nous a aidés à formaliser un peu ce que ça allait être, et donc de pouvoir commencer à vivre avec. Ça nous a permis d’évoluer psychologiquement avant la naissance. En plus du traumatisme de la naissance, se rendre compte que vous avez un petit bébé qui a été mutilé aux mains, au pied, ça aurait été très dur.

On a des personnes qui sont entrées en contact avec nous et qui sont vraiment traumatisées. Un autre couple pour qui ça a été détecté en anténatal et qui préfère cette solution parce qu’ils peuvent passer par toutes les étapes : en vouloir à la terre entière trouver un responsable… avant la naissance. Et au moment de la naissance, ils peuvent se concentrer sur la naissance du bébé.

- M. : Pour nous, c’était un plus, dans la mesure où on avait déjà deux grands enfants (deux garçons de 10 et 8 ans) qui attendaient avec impatience la naissance d’Emilien. On leur avait déjà dit que c’était un petit garçon. Ils étaient tous contents. Le fait qu’on ait appris avant nous a permis de dédramatiser la situation à la naissance. Les enfants ont eu une approche très sympa avec leur petit frère. Je pense que si on avait attendu la naissance, ça aurait été terrible. Ainsi, ils ont pu se préparer, et on a pu préparer la famille.

- Dr BIDAT : On sait que l’annonce des fentes labiales à la famille est un plus. Mais la différence avec les brides amniotiques, est que l’on a un traitement à proposer.

Un travail qui pourrait être entrepris auprès des couples, c’est qu’ils expriment un besoin de savoir, savoir quoi, au moment de l’échographie ? Désirent-ils être informés seulement du sexe, mais également d’une malformation éventuelle. Que les couples expriment leur choix de savoir ou de ne pas savoir.

- M. : Après trois fausses couches, aucune des dix échographies n’a décelé l’absence de radius des deux côtés : à la naissance, mains botes…

- Dr BIDAT : Comme je vous l’ai déjà dit, les échographies sont très peu performantes en ce qui concerne les membres. Elles ne décèlent guère que 30% environ de diagnostic. Ce n’est pas une science exacte.

Maintenant, l’épidémiologie se fait au niveau européen et non plus au niveau français et il y a une nette amélioration.

Et il existe des exemples de formation des échographistes à la cardiologie fœtale. Résultat : le taux de dépistage est passé de quasiment 0 à quelque chose comme 60 à 80%, uniquement en faisant de la formation.